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À l’écoute de la Parole

Nous continuons notre marche vers Noël, accompagnés par Jean-Baptiste. C’est une marche parfois éprouvante dans le désert de la souffrance, comme l’a expérimentée le Précurseur. Dans les ténèbres de sa prison, il se demande si Jésus est bien le Messie annoncé par les Prophètes, qui devait instaurer une ère nouvelle de paix et de joie, par la victoire sur toutes les formes de mal.

En effet, le livre d’Isaïe décrit avec enthousiasme ce jour où « le Seigneur lui-même vient et va vous sauver » (Is 35, 4). À son époque, le peuple d’Israël était bien maltraité par l’histoire – exil, oppressions étrangères, etc. Il avait l’impression de marcher dans le désert, lieu de l’épreuve, de l’errance loin de la patrie, de la mort des plus faibles. Confiance : le Seigneur va intervenir ! Il changera ce désert en lieu d’abondance, à l’image de ces lieux si fertiles que sont le carmel et le Liban. Le miracle de l’eau qui sourd dans le désert se répètera (Nb 20). Dieu viendra soutenir et guérir ceux qui défaillent : les « genoux qui fléchissent » désignent un état d’abattement spirituel, où l’homme se laisse gagner par la mort.

Peut-être des parents, des amis ont-ils été emportés en captivité ? Le Seigneur les fera revenir à Jérusalem, ce lieu où le salut sera offert à tous. Pour convaincre son auditoire, il évoque les infirmités les plus criantes : les aveugles, les sourds, les boiteux, les muets, etc.

Surtout, et comme toujours avec Dieu, le don va au-delà de ce que le cœur humain espérait : Israël attendait un Messie humain qui vienne le délivrer des esclavages de cette terre. C’est Dieu lui-même qui vient pour le délivrer de tous ses maux et de son péché. C’est pourquoi les infirmes seront guéris au-delà de toute attente : « le boiteux bondira comme un cerf… » La première lecture est donc un véritable « hymne à la joie future » qui déborde à chaque verset, tout tendu vers l’action du Seigneur.

C’est également l’esprit du psaume 146 (145), où nous nous mettons du côté de tous ceux qui souffrent et faisons monter au Seigneur leur prière : il est le seul espoir des opprimés, des aveugles, des étrangers… toutes les misères sont rassemblées autour du Seigneur pour le supplier de venir mettre fin à leur calvaire. Et le psalmiste répète, verset après verset, sa foi inébranlable en Dieu qui seul a véritablement le pouvoir de sauver. Au début du psaume il rejette tout recours à la puissance humaine : « Ne mettez point votre foi dans les princes, dans un fils de la glaise, il ne peut sauver ! » (v. 3) Au contraire, le vrai Souverain se manifeste par son attention envers les plus faibles et rien n’est impossible à Dieu : le Règne du Seigneur est son service des pauvres.

Face à ces enseignements de l’Écriture, les croyants peuvent être bien déçus par le cours que suivent les affaires de ce monde. Jean-Baptiste, dans sa prison, s’interroge… La communauté chrétienne à laquelle Jacques s’adresse devait elle aussi s’interroger : si Jésus est bien le Messie, pourquoi les maux persistent-elles sur terre ? Il commence le chapitre 5 de sa lettre en dénonçant l’injustice sociale ; après notre passage, il aborde la souffrance avec cette indication lapidaire : « Quelqu’un parmi vous souffre-t-il ? Qu’il prie. Quelqu’un est-il joyeux ? Qu’il entonne un cantique ! » (Jc 5, 13)

La deuxième lecture de la messe est donc un appel pressant à la patience, exprimée par le verbe « μακροθυμέω, macrothuméô être grand d’esprit, ne pas perdre cœur », répété quatre fois en ces quelques versets. La Sagesse juive y invitait souvent : « Tout ce qui t’advient, accepte-le et, dans les vicissitudes de ta pauvre condition, montre-toi patient [ μακροθύμησον ], car l’or est éprouvé dans le feu, et les élus dans la fournaise de l’humiliation. » (Sir 2, 4) Cependant les chrétiens ont des motifs supplémentaires : le Seigneur va venir, sa parousie (parousia, v.8), son avènement est très proche. Il ne faut pas céder aux difficultés relationnelles dans la communauté (« ne gémissez pas les uns contre les autres », v. 9) mais prendre exemple sur les prophètes qui ont annoncé, comme Isaïe, la venue du libérateur contre toute espérance humaine.

Cette invitation vient à point nommé selon le pape Benoît :

« L’Avent nous appelle à affermir cette ténacité intérieure, cette résistance de l’âme qui nous permettent de ne pas désespérer dans l’attente d’un bien qui tarde à venir, mais de l’attendre, plus encore, de préparer sa venue avec une confiance active . » [1]

L’apôtre Pierre, de son côté, ajoute une autre nuance :

« Le Seigneur n’est pas en retard dans l’accomplissement de sa promesse, comme certains se l’imaginent, il fait simplement preuve de patience à votre égard, car il ne veut pas qu’un seul périsse. Il voudrait, au contraire, que tous parviennent à se convertir » (2 Pierre 3, 9).

Dans l’Évangile est posée une double question d’identité : Qui est Jésus ? Qui est Jean-Baptiste ? La première interrogation vient du Précurseur, qui ne reconnaît pas dans le profil de la vie publique de Jésus, trop humble, le Messie qu’il attendait. Jésus lui répond et le réconforte dans sa foi au seuil du martyre en citant le passage d’Isaïe de la première lecture (Is 35), qu’il accomplit littéralement par ses miracles : ses œuvres de miséricorde manifestent qu’Il est bien le Christ. Peut-être sa réponse est-elle aussi une délicate invitation à son cousin : il ne doit pas être sourd à l’annonce de la Bonne Nouvelle, même si son contenu le déçoit, ni aveugle à l’action miséricordieuse de Dieu, toujours discrète et déroutante. Qu’il s’ouvre à la nouveauté de l’Évangile ! Beaucoup seront choqués par cette nouveauté, c’est pourquoi Jésus ajoute : « Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! » (Mt 11, 6). Saint Grégoire le Grand l’interprète ainsi : comme Jean a annoncé la venue de Jésus dans la chair (semaine dernière), il annonce aussi par sa souffrance en prison la future passion du Christ :

« Cela revient à dire ouvertement : je fais, il est vrai, des choses admirables, mais je ne répugne pas à en endurer d’abjectes. Puisque je vais te suivre dans la mort, que les hommes prennent bien garde de ne pas mépriser en moi la mort, eux qui révèrent mes miracles . » [2]

Puis Jésus profite de la venue des envoyés de Jean-Baptiste pour interpeller les foules à son sujet. La figure de l’ermite du désert est une excellente invitation à la foi. Pourquoi le peuple s’est-il senti tellement touché par sa voix que « Jérusalem, toute la Judée et la région du Jourdain s’en allaient vers lui » (Mt 3, 5) ? Pour aider la réflexion, Jésus propose plusieurs hypothèses : il aurait pu n’être qu’un divertissement à la mode (« un roseau agité par le vent »), mais cela concorde mal avec son baptême de pénitence. Ou bien l’attrait de la richesse et de la puissance (« un homme habillé de façon raffinée ») ? Mais « Jean avait son vêtement fait de poils de chameau et un pagne de peau autour de ses reins » (Mt 3, 4). Jésus proclame alors ce que tous avaient perçu : Jean est un prophète, il est habité par l’Esprit comme l’avait été Isaïe avant lui .

Mais le Christ va encore plus loin et, en rendant hommage à Jean-Baptiste, introduit au mystère de sa propre Personne. Il cite Malachie 3 (« Voici que j’envoie mon messager en avant de toi… ») : Jean-Baptiste, par sa prédication, a marqué le point d’orgue de toutes les prophéties (« bien plus qu’un prophète »). Il a été comme le seuil d’entrée à une nouvelle ère, celle du Messie : l’ère eschatologique du Sauveur s’inaugure avec Jésus. C’est pourquoi il y a rupture, passage à une nouvelle économie, celle du Christ. C’est pourquoi aussi tous ceux qui accueillent et professent le royaume de Dieu sont plus grands que Jean-Baptiste. Les versets qui suivent l’expliquent clairement : « Tous les prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont mené leurs prophéties jusqu’à Jean. » (v. 13) Avec Jésus vient la nouveauté de devenir enfants de Dieu (cf. Jn 1, 12), l’ère de la grâce. Il compare donc «ceux qui sont nés d’une femme » (l’ancienne économie) aux « plus petits dans le royaume des Cieux » (la nouvelle), et affirme la supériorité du Royaume sur la prophétie.

C’est la grandeur de Jean-Baptiste d’avoir été l’homme de ce passage, et il nous montre le chemin pour suivre Jésus, comme le dit la liturgie :

« Tu as voulu, Seigneur, que saint Jean-Baptiste soit le précurseur de ton Fils dans sa naissance et dans sa mort ; Il a donné sa vie pour la justice et la vérité : accorde-nous de savoir, comme lui, nous dépenser avec courage au service de ta Parole. Par Jésus Christ… » [3] .

 

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[1] Benoît XVI, Angélus du 12 décembre 2010.

Voir tout le paragraphe : « Il me semble d’autant plus important, de nos jours, de souligner la valeur de la constance et de la patience, des vertus qui appartenaient au bagage normal de nos pères, mais qui sont aujourd’hui moins populaires, dans un monde qui exalte plutôt le changement, et la capacité de s’adapter toujours à des situations nouvelles et différentes. Sans rien enlever à ces aspects, qui sont aussi des qualités de l’être humain, l’Avent nous appelle à affermir cette ténacité intérieure, cette résistance de l’âme qui nous permettent de ne pas désespérer dans l’attente d’un bien qui tarde à venir, mais de l’attendre, plus encore, de préparer sa venue avec une confiance active. »

[2] Grégoire le Grand, Homélies sur l’Évangile, SC 485, Homélie VI, p. 183.

[3] Prière collecte de la messe du Martyre de Jean Baptiste (29 août).

Agneau de Dieu


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  • L’entrée à Jérusalem (chapelle du Palais, Palerme)